Population et langue au Québec

Recherchant un électrochoc, un 'plombier' se fait 'électricien'

Ce texte est le résumé d'une note critique à paraître dans une revue universitaire en 2022

Déplorant l’indifférence généralisée face à « la lente agonie du fait français au Québec », Mme Johanne Rioux cite l’ingénieur Charles Gaudreault (Le Devoir, 23 novembre 2021). Elle rapporte que « les francophones seront minoritaires au Québec en 2042 ». Or, cette dame ne réalise sans doute pas que M. Gaudreault ne parle pas des Québécois de langue française, mais plutôt des Québécois d’origine ethnique française selon la définition du recensement de … 1971 !

Les résultats prospectifs de M. Gaudreault pour 2042 (50%) et pour 2050 (45%) sont le fruit d’un calcul selon un scénario élaboré en deux étapes portant sur une période totale de 80 ans (« The impact of immigration on local ethnic groups' demographic representativeness », Nations and Nationalism, 2020, 26 : 923–942). Trouvant dans le recensement de 1971 une définition de l’origine ethnique française assez pure à son goût, M. Gaudreault s’engage dans une rétroprojection pour la période 1971-2014, avant de poursuivre jusqu’en 2050.

C’est ainsi que, partant d’une proportion de 79% en 1971, son calcul le conduit à 64,5% de Québécois d’origine ethnique exclusivement française en 2014, comparativement à 80,6% de francophones d’origines diversifiées (selon la langue parlée à la maison en 2016). Une différence notable de 16 points entre ces deux variables.

Mme Rioux sera sans doute étonnée d’apprendre que, dans les calculs de M. Gaudreault, aucun immigrant venu de France depuis 1971 – ainsi que leurs enfants et leurs petits-enfants –, n’a été ajouté aux effectifs de la majorité québécoise d’origine ethnique française. De plus, tous les enfants des immigrants scolarisés en français depuis 1977 en vertu de la Loi 101, même s’ils ont adopté le français comme langue d’usage courant, notamment en famille, sont également exclus de la majorité francophone, ou plutôt, de la majorité canadienne-française traditionnelle.

Par conséquemment, bien que Mme Rioux ait raison de dénoncer le refus d’Ottawa d’accepter plus de « 35 600 candidats des principaux pays francophones du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest qui voulaient venir au Québec entre janvier 2020 et septembre 2021 », elle ne fera pas sourciller M. Charles Gaudreault. En effet, ces candidats ayant tous le vilain défaut de ne pas être d’origine ethnique française comme s’il s’agissait d’une essence, ils seraient parqués dans un groupe fourre-tout où l’on trouve tous ceux qui sont arrivés au Québec après 1971, y compris tous les « enfants de la Loi 101 ».

Dans ses calculs, M. Gaudreault suppose que la fécondité des immigrantes est de 2 enfants, que 87% des immigrants ne repartent pas du Québec, et surtout, que le nombre d’immigrants augmente systématiquement avec la population, laquelle est multipliée « par 0,0178 moins 93 000 », une façon de faire inusitée en démographie. Or, comme la période 1971-2014 appartient déjà à l’histoire, nous avons comparé les résultats de l’ingénieur avec les faits.

La formule mathématique de M. Gaudreault conduit à une alternance de surestimations et de sous-estimations en comparaison aux données statistiques compilées. Par exemple, l’immigration de la période 1971-1976 est sous-estimée de 29%, tandis que celle de la période 1977-1988 est surestimée de plus de 24%. Globalement, pour l’ensemble des années 1971-2001, M. Gaudreault a surestimé l’immigration internationale à destination du Québec de plus de 34%.

Outre que l’immigration soit surestimée, le taux de rétention des immigrants l’est aussi. Pour les années antérieures à 1990, ce taux était alors de 65% ; à la fin du XXe siècle, il était de 75%. Ainsi, la surestimation de M. Gaudreault va de 12 à 17 points. De plus, étant donné que l’ISF de cette époque se situait plutôt autour de 1,8 enfant par femme, il s’ensuit que les calculs de l’ingénieur engendrent, sans jeu de mots, des naissances excédentaires.

Bref, la surestimation totale due à une immigration et à une fécondité trop élevées pour la période 1971-2001, est de 36,5%. Ce n’est là qu’un minimum, car encore faudrait-il ajouter les effets d’une rétention trop forte des immigrants. Par conséquemment, les proportions de Canadiens-français au Québec pour la période 1971-2014 estimées par Charles Gaudreault, ont été artificiellement réduites avant même de procéder à la projection proprement dite (2014-2050). Que valent alors les 45% de Canadiens-français en 2050 ? Rien.

Avec les hypothèses qu’il a retenues pour le seul scénario qu’il a construit en deux temps, M. Gaudreault ne pouvaient que piper les dés en faveur de son  objectif premier : « étudier l'impact de l'immigration sur le poids démographique des groupes ethniques locaux ». Ayant fait le contraire de la règle d’or de la prospective en démographie, il n’a rien prouvé. À moins qu’il ait recherché à créer un électrochoc.  

Michel Paillé, démographe, Québec