Pour une politique de population

Jacques Henripin
Pour une politique de population
Montréal, Les Éditions Varia, 2004, 124 p.


Recension parue dans le
Bulletin d'histoire politique
printemps 2005 (vol. 13, no 3), p. 283-286



Ce petit volume ne présente pas de recettes pour revitaliser une population anémique. D’emblée, le démographe Jacques Henripin fixe rapidement les limites de son propos. Après quelques analyses, sciemment partielles, l’auteur se propose de formuler quelques suggestions concrètes. Bref, on y chercherait en vain une vérité, car «dans cette aventure, [on] risque toujours de se tromper» (p. 10).

Henripin décrit d’abord les effets indésirables de l’évolution de notre population du dernier demi-siècle. On y retrouve tout ce qui préoccupe les médias depuis plusieurs décennies: vieillissement, ralentissement de la croissance numérique, insuffisance éventuelle des fonds de retraite, coûts grandissants des soins de santé, etc. À cela il ajoute les changements dans la composition ethno-linguistique, l’effondrement de l’institution familiale, la formation professionnelle, etc.

Bien que l’«on ne saurait regretter l’accès à la contraception, l’émancipation des femmes, leur liberté accrue, leur participation aux mondes du travail et de la politique» (p. 33), il faut agir selon l’auteur. D’autant plus que les effets d’une chute de 25% de la fécondité chez les femmes nées entre 1930 et 1955 (p. 32) ne se sont manifestés qu’à moitié (p. 22-23). Ce que Henripin appelle le «dilemme bébés/immigrants» (p. 12) fait ensuite l’objet des deux chapitres suivants.

En quelques alinéas, Henripin traite des causes de notre fécondité anémique: travail des mères, insécurité conjugale, vie matérielle (voyages, activités sportives, etc.), valeurs (individualisme, hédonisme), etc. Le tout renforcé par la contraception et l’avortement. Bref, des causes si diverses et entrecroisées qu’elles l’amèneront à dire, fort à propos, «qu’il ne suffit pas, comme certains le croient, de distribuer des allocations familiales pour augmenter le nombre de naissances» (p. 66).

Reconnaissons avec l’auteur qu’une «politique nataliste» n’a rien de répréhensible en soi. Il s’agit simplement de rechercher la hausse des naissances sans jamais forcer «quiconque à avoir des enfants non désirés» (p. 70). N’avance-t-il pas que «l’objectif de 2,1 enfants n’est pas un absolu»? Plus réaliste, il donne comme modèles, non pas les USA avec leurs 2,1 enfants par couple, mais quelques pays d’Europe de l’ouest dont la fécondité est de 1,8 ou 1,9 (France, Grande Bretagne, Suède, etc.) (p. 71-72). Il s’agit là d’objectifs modestes, mais suffisants pour que l’immigration puisse combler la différence.

Henripin suggère plusieurs mesures d’aide à la famille. Outre les allocations familiales, il se penche sur divers types de congés pour concilier davantage travail et famille; il néglige toutefois la question des garderies en milieux de travail. S’il propose de renforcer le mariage, c’est pour protéger financièrement ces nombreuses femmes qui s’engagent dans une union libre sans connaître le haut risque qu’elles courent de devenir mères monoparentales (et pauvres). Il faudrait aussi repenser la pension de réversion de la rente du Québec (RRQ) car, de nos jours, «il y a beaucoup moins de veuves assez jeunes pour avoir des enfants dépendants» (p. 82).

Henripin doute qu’un plus grand nombre d’immigrants comblerait les naissances manquantes: «on ne se rend pas compte, écrit-il, de l’ampleur que cette stratégie pourrait prendre d’ici 30 ans» (p. 42). Car au fur et à mesure de l’augmentation des décès sur les naissances, il faudrait grossir le nombre d’immigrants. Il illustre son propos en calculant combien d’immigrants il faudrait admettre pour stabiliser la population. Avec une fécondité de 1,5 ou de 1,6 enfant par femme, les résultats obtenus sont de l’ordre de 70 000 à 80 000 immigrants par année (p. 43-48). C’est deux fois plus que la meilleure performance du Québec calculée sur 10 années consécutives. En effet, j’ai calculé que de 1989 à 1998, nous n’avons accueilli en moyenne que 36 000 immigrants par année [1].

Les calculs de Henripin conduisent à une trop forte immigration internationale. Supposant à tort «que la moitié des immigrés étrangers quittent le Québec au cours des 20 années qui suivent leur arrivée, et les deux tiers, avant 30 ans» (p. 47), il doit faire entrer dans ses calculs un trop grand nombre d’immigrants pour compenser tous ceux qu’il fait repartir du Québec en surnombre. Selon mes calculs, qui tiennent compte de la mortalité, une émigration d’environ 25% est suffisante pour retrouver le nombre d’immigrants recensés au Québec en 1996 et qui son arrivés au cours des 25 années précédentes. Conscient de ses approximations grossières, Henripin opte finalement pour «une bonne cinquantaine de milliers d’immigrants […] à cause de l’incertitude concernant la permanence de leur séjour» (p. 59).

Qualifié de «défi social majeur du demi-siècle qui vient» (p. 98), le vieillissement découle de notre «fécondité chétive». Il faudra s’y faire, car le vieillissement «est lent et lourd comme un éléphant» (p. 99). Bien qu’une hausse des naissances rajeunirait la population, son impact ne viendrait que très tard. Quant à l’immigration, son effet ne ferait que ralentir quelque peu le vieillissement. Il est utile de rappeler [2] tout cela, car nombreux sont ceux qui énoncent des attentes utopiques à cet égard.

Henripin s’éloigne souvent de la démographie – ce qu’il reconnaît (p. 59) –, pour livrer quelques opinions personnelles. Cela va des cégeps «trop bigarrés, souvent laxistes» (p. 37) aux «averses de joual dans les médias électroniques» (p. 106), en passant par les «mièvreries pour midinettes à cortex mince» pour dénoncer la télévision et nos humoristes «obsédés par une sexualité de mammifères» (p. 86). Bien que chacun ait droit à ses opinions, voire à jouer les guignols dans un ouvrage savant, j’aurais souhaité moins de dilettantisme, notamment sur la question linguistique.

Nombreux sont ceux qui déplorent la pollution des ondes, un domaine de juridiction fédérale. Si certains pays exigent une parfaite maîtrise de la langue nationale pour exercer une profession sur les ondes tant publiques que privées, pourquoi le Canada n’en ferait-il pas autant pour ses deux langues officielles? Henripin a raté une belle occasion pour formuler quelques recommandations là-dessus.

À le lire, il semblerait que seuls les francophones du Québec maîtriseraient mal leur langue. Une courte expérience en milieu universitaire anglophone [3] m’a montré que de trop nombreux étudiants, mal préparés aux études supérieures, parlent et écrivent un anglais pitoyable. Du reste, de nombreux ouvrages de linguistique témoignent d’une crise généralisée des langues à travers le monde [4]. Recommander de faire mieux quant à la qualité du français, notamment chez les enseignants, c’est prêcher la vertu. Proposer de donner priorité (p. 106) à ce qu’on appelait jadis «le bon parler français», c’est exiger de labourer la mer avant de passer à autre chose.

Vouloir «modérer l’ardeur policière des surveillants de l’affichage au millimètre près» (p. 106), c’est faire une lecture bébête des caricatures de nos quotidiens! Amendée par Claude Ryan (1993) pour satisfaire un jugement de la Cour suprême (1988), la loi 101 exige simplement une nette prédominance du français (art. 58). Jamais Ryan, qui ne faisait pas dans la scolastique, se serait ridiculisé en départageant le français de l’anglais d’une manière byzantine.

Les principales préoccupations de Henripin portent sur l’avenir des anglophones du Québec. Même après de nombreux amendements, la loi 101 fourmillerait encore de nombreux irritants toujours responsables d’importantes pertes migratoires avec le reste du Canada! Henripin fait comme si tout n’avait commencé qu’à la fin des années 1970, oubliant avoir tout fait remonter jusqu’au XIXe siècle (p. 28-29). On chercherait en vain dans cet ouvrage la moindre allusion à une importante exogamie [5] pour expliquer comment le nombre et la proportion d’écoliers dans nos écoles anglaises ont pu augmenter depuis plus de 10 ans malgré des pertes migratoires chez les anglophones [6].

Contrairement à Henripin qui attribue le recul démographique des anglophones au mauvais sort que leur réserverait la majorité francophone, il vaudrait mieux y voir le comportement normal d’une majorité nationale qui a toujours circulé librement au sein de son vaste pays, le Canada. Comme aux USA, les mouvements majoritaires vont d’est en ouest.


NOTES ET RÉFÉRENCES

1 Institut de la statistique du Québec, «Immigrants, émigrants et résidents non permanents, Québec, Ontario et Canada, 1951-2003», page consultée en ligne le 6 août 2004 à l’adresse:
http://www.stat.gouv.qc.ca/donstat/societe/demographie/migrt_poplt_imigr/602.htm.
2 Il y a 15 ans, d’excellentes simulations démontraient tout cela. Voir: Rôle de l’immigration internationale et l’avenir démographique du Québec, Montréal, ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration, 1990, 79 p.
3 Bishop’s University, Lennoxville, Québec, 1977-1980.
4 Jacques Maurais, La crise des langues, Paris, Le Robert, 1985, 490 p.
5 Michel Paillé, «Aperçu des mariages interlinguistiques au Québec», Congrès de l’ACFAS, Trois-Rivières, 14 mai 1997.
6 Nulle trace d’exogamie aussi dans une estimation de Henripin conduisant à 2,5 millions d’immigrés et leurs descendants en 2080, soit le tiers de la population québécoise (p. 56). Faire abstraction de toute exogamie entre immigrants et natifs pendant trois générations n’a aucun sens.