Certains
chapitres d’un livre de Michel C. Auger – 25
mythes à déboulonner en politique québécoise – méritent d’être lus. Ils
concernent des mythes de nature économique touchant la péréquation (mythe #
20), la dette publique (mythe # 23) et le déséquilibre fiscal canadien (mythe #
24).
Par exemple, à l’opinion voulant que le Québec «se paie de généreux
programmes sociaux avec l’argent des Albertains», M. Auger rétorque qu’il «n’y
a pas […]d’argent qui quitte l’Alberta pour être donné au Québec ou à toute
autre province». Bien que le Québec ait reçu en 2017-2018 «à peu près la moitié
de la cagnotte» à lui seul, il vient «loin derrière les provinces de l’Atlantique»
en tenant compte de «la part par habitants».
Pour déboulonner
ces mythes de nature économique, Michel C. Auger s’appuie sur les études d’éminents
chercheurs, dont Pierre Fortin et Luc Godbout. Hélas, on chercherait en vain
ceux qu’il a consultés sur l’immigration, le vieillissement de la population ou
la loi 101 par exemple.
Les mythes touchant la question linguistique
Michel C. Auger rappelle,
sept fois plutôt qu’une, que «94,5% des Québécois sont capables de parler français,
c’est-à-dire en mesure de soutenir une conversation». Tirée du recensement de
2016, cette proportion serait la preuve que la loi 101 «a été un immense succès
dont tous les Québécois ont le droit d’être fiers». Après tout, ajoutera-t-il,
c’est «la presque totalité des Québécois».
Nulle part M.
Auger ne met en garde ses lecteurs sur le caractère subjectif d’un tel pourcentage.
Il importe en effet de rappeler qu’il s’agit d’une évaluation globale venant
des personnes interrogées, et non d’une mesure objective. S’il faut croire au
mythe de l’«immense succès» de la loi 101 sur cette base, encore faudrait-il admettre
qu’il a été atteint, ou presque, il y a déjà plus de 25 ans (93,5%
en 1991) !
Cherchant à
comprendre «pourquoi parle-t-on si souvent du recul du français au Québec», M.
Auger trouve, chez les adeptes de l’«industrie du ‘déclin démographique’», une
réponse : leur prétendu choix de la langue maternelle comme instrument de
mesure. Selon Michel C. Auger, bien que le pourcentage de Québécois de langue
maternelle française ait reculé «de 79,7% à 79,1% entre 2011 et 2016», cette
variable exclut tous les immigrants de langues tierces qui ont fait du français
leur langue seconde.
Affirmer cela c'est ignorer que les grandes projections démolinguistiques sont basées depuis longtemps
sur la langue d’usage, et non sur la langue maternelle. Depuis l’ouvrage
de Lachapelle et Henripin paru en 1980, d’autres ont procédé ainsi, notamment
Marc Termote et ses collaborateurs. Puisqu’il le faut, rappelons que ces projections
tiennent compte du fait que des enfants sont élevés en français parce que leurs
parents, bien que de langues maternelles diverses, ont fait du français la
langue de leurs foyers. Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à faire librement le choix du français.
Les
dernières projections de Termote publiées par l’Office québécois de la
langue française (2011) montrent une poursuite de l’érosion de la majorité
francophone du Québec. Les recensements de 2006 et de 2016 ont confirmé la
tendance lourde générale de ses projections : la proportion de personnes parlant
le plus souvent le français a glissé de 81,1% à 79,0% pendant cette décennie. Précisons
que ce type de projections est la voie royale à suivre, car tous les facteurs à
l’œuvre sont pris en compte : mortalité, fécondité, substitutions linguistiques,
immigration, migrations Québec-reste du Canada, migrations interrégionales (notamment
entre Montréal et sa couronne métropolitaine).
À cela Michel C.
Auger pourrait répliquer qu’il a plutôt fait état de «87,1% des gens qui
utilisent le français à la maison», une proportion d’ailleurs «en faible
hausse». Il aurait raison de protester. Mais ce qu’il ne pouvait pas savoir, comme
Brian Myles avant lui, c’est que
Statistique Canada n’a pas précisé dans Le Quotidien du 17 août 2017, que ces 87,1% résultent d’une addition de pourcentages aux
deux questions[1] sur les
langues parlées à la maison[2].
Comme le total pour les trois groupes linguistiques (français, anglais, autres)
dépasse largement 100%, Statistique Canada se devait de le faire remarquer.
Mais parler français
à la maison ne signifie pas que tous en font usage dans le domaine public. S’il
est bien vrai, comme l’écrit Michel C. Auger, que «le français ne s’apprend pas
uniquement dans les salles de cours, mais aussi au travail, dans la rue ou en
parlant avec ses voisins», encore faudrait-il que les francophones bilingues
donnent préséance à un français de qualité. Trop
souvent, ils s’expriment en anglais à la moindre occasion.
Si 40 ans de loi 101 ont donné des résultats positifs
dans plusieurs domaines, il faut déplorer que l’usage spontané d’un français de
qualité par les francophones eux-mêmes ne soit pas encore au rendez-vous. Ne voyant
pas que le «Bonjour-Hi» (mythe # 6) est un symptôme périphérique d’un fâcheux comportement
généralisé et profond, Michel C. Auger a raté une belle occasion d’exiger une
évaluation de la fidélité des francophones envers la langue officielle du Québec.
[1] Il
s’agit de la «langue parlée le plus souvent» pour tous, et de la «langue parlée
régulièrement» pour ceux qui font occasionnellement usage d’une autre langue, ou
de deux autres langues.
[2] J’ai démontré le 14 mai 2018 devant trois
analystes de Statistique Canada, que leurs calculs mènent à une «somme d’occurrences».
Les résultats obtenus ne renvoient pas au nombre de personnes recensées
au Québec en 2016, mais plutôt à un nombre de réponses où parler français
«régulièrement» devient égal à parler français «le plus souvent», et où parler français, à égalité avec l'anglais et une langue tierce, est l'équivalent de ne parler que le français !